« Quel droit au libre choix du lieu de vie ? » était la question de cette 5e séance accueillant Marie Barbaut, assistante de service social (EPS de Ville-Evrard), Ana Marques, sociologue, chargée d’études (EPS de Ville-Evrard), Jean-Philippe Cobbaut, directeur du Centre d’Ethique Médicale (Université Catholique de Lille).
Les trois intervenants se sont saisis du sujet -très débattu dans l’espace public- de l’accueil en Belgique d’un nombre important d’enfants et d’adultes ne trouvant pas de « place » dans les institutions françaises, en se demandant notamment s’il fallait parler d’exil volontaire ou d’exode contraint.
Les départs vers la Belgique ont été traités sous des points de vue contrastés, allant du plus concret des organisations et pratiques professionnelles au sein des EPSM, à des questions plus théoriques relatives aux conditions d’attribution de droits sociaux et fondamentaux. Ces « exils » ou « exodes » en Belgique sont le plus souvent débattus dans l’espace public sur le cas d’enfants, spécialement d’enfants autistes, que leur parents ne parviennent à faire accueillir en France et qui se trouvent ainsi privés d’une proximité et d’une vie familiale. Or, il apparaît que ce problème -pour aigu et grave qu’il soit – ne recouvre qu’une partie des départs en Belgique.
Les adultes sont également très nombreux (plus de 5 300 en 2015 pour environ 1 500 enfants) à ne trouver de réponse institutionnelle qu’en traversant la frontière : patients des EPSM qui ont dépassé la « crise » mais ne sont pas en mesure de vivre seuls, personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sous mesure de protection judiciaire…
L’éloignement géographique de leur lieu d’origine des personnes en situation de handicap, – avec ce qu’il induit de distension des liens familiaux, amicaux, de voisinage et de risque de « désafiliation » – n’est certes pas une nouveauté et la Belgique est après tout moins lointaine que la Corrèze pour une personne de la Seine-Saint-Denis, a fortiori du Nord ou du Pas-de Calais. Il ressort en outre des expériences, que les établissements belges accueillant des Français, moins assujettis à des contraintes réglementaires, peuvent être perçus très positivement par les personnes et leur famille : « ça sent le café, on a le droit de faire des gâteaux avec des vrais œufs qu’on casse ; en France, ça sent l’institution ». Quoique la Belgique, comme la France, souffre de pénurie des structures d’accueil d’urgence, elle semble paradoxalement offrir des solutions de moyen et long termes qui peuvent, au final, susciter l’adhésion des familles.
Mais la question du volontariat et de la satisfaction des personnes concernées et de leurs proches est loin de suffire pour traiter la question. Les exposés ont en effet levé un problème spécifique – peu débattu pourtant – et assez vertigineux des départs vers la Belgique : quoiqu’on reste dans l’Union européenne et que la France et la Belgique soient culturellement très proches, le seul fait de passer la frontière fait exploser les cadres juridiques avec lesquels les familles et les professionnels composaient jusque-là : en effet, l’un et l’autre des pays ont adopté des politiques, droits et obligations sanitaires et médico-sociales différents, et privent les acteurs des outils de dialogue nécessaires pour coordonner les parcours et penser au mieux l’accompagnement. La question du droit n’est guère traitée que du point de vue de « ce que dit la loi en matière de financement ». Les professionnels se retrouvent essentiellement occupés à tracer et garantir les financements d’un côté à l’autre de la frontière, tandis qu’ils ne disposent pas de moyens de connaître les établissements avant d’y envoyer un résident, qu’ils « perdent » ensuite souvent la trace de ce dernier… Les juges eux-mêmes tendent à se déclarer incompétents, autant par méconnaissance du droit européen que par crainte de « cautionner » l’exil belge de citoyens français. La confusion s’instaure donc régulièrement entre citoyenneté nationale et citoyenneté de résidence, créant des « trous noirs » juridiques pour les personnes directement concernées : il n’y a parfois pas de déclaration officielle de la résidence des majeurs français sous tutelle/curatelle en Belgique, on rencontre des situations absurdes où un même majeur a un mandataire français et un belge qui ne se connaissent pas, les « retours » en France sont parfois rendus impossibles du fait de ces enchevêtrements de droits, au détriment des droits fondamentaux des personnes. L’impression est donc souvent d’une absence totale de droit pour les acteurs alors qu’il y a prolifération de droit, de mesures juridiques et l’exercice des droits s’en trouve réduit à un pouvoir discrétionnaire plutôt qu’à la référence à un droit dont les différents acteurs pourraient se saisir.
Le parallèle avec la situation contemporaine des migrants s’est imposé, posant la question des modalités d’une attribution des droits fondamentaux à la personne humaine plutôt qu’au citoyen ou au résident.