Auteur : Cyril Desjeux, Handéo
Contexte de description : Cette situation est issue d’un groupe d’experts mis en place par Handéo en 2017[1]. Ce groupe avait pour objectif de construire un argumentaire et une analyse sur la manière dont l’articulation entre l’aide et le soin se présente de manière spécifique pour les personnes polyhandicapées qui vivent à domicile.
Résumé : L’article L1111-6-1 du Code de la Santé Publique permet, sous certaines conditions, à une personne durablement empêchée d’accomplir elle-même des gestes liés à des soins prescrits par un médecin, du fait de limitations fonctionnelles de ses membres supérieurs, de désigner un aidant (professionnel ou non) pour qu’il les réalise à sa place. Cependant cet article n’est pas applicable aux personnes polyhandicapées privant certains proches aidants de la possibilité d’avoir un temps de répit, de relais ou de suppléance.
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Armelle est mère d’un enfant polyhandicapé de 25 ans qui présente des risques de fausses routes, une grave dépendance et une déficience mentale sévère. Son fils est alimenté par gastrostomie et il habite avec sa mère. Il pourrait avoir une orientation en institution. Cependant les listes d’attente sont trop longues et Armelle ne souhaite pas que son fils soit en institution. Elle souhaite donc pouvoir bénéficier d’un accompagnement à domicile adapté. En outre elle voudrait reprendre une activité à temps partiel, mais pour cela il faut que son fils bénéficie plusieurs fois par jours d’une alimentation.
Elle sollicite un service d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) pour intervenir au domicile. En s’appuyant sur l’article L. 1111-6-1 du Code de la Santé Publique (CSP) le service pensait pouvoir désigner une aide à domicile du SAAD qui aiderait à la prise des repas du fils d’Armelle.
L’article L1111-6-1 du CSP a été créé par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il permet à une personne durablement empêchée d’accomplir elle-même des gestes liés à des soins prescrits par un médecin, du fait de limitations fonctionnelles de ses membres supérieurs, de désigner un aidant (professionnel ou non) pour qu’il les réalise à sa place. La personne handicapée et les personnes désignées reçoivent préalablement, de la part d’un professionnel de santé, une éducation et un apprentissage adaptés leur permettant d’acquérir les connaissances et la capacité nécessaires à la pratique de chacun des gestes pour la personne handicapée concernée. Lorsqu’il s’agit de gestes liés à des soins infirmiers, cette éducation et cet apprentissage sont dispensés par un médecin ou un infirmier.
Cependant aucun infirmier n’a accepté de délivrer l’éducation et l’apprentissage nécessaire à cet acte en argumentant que cet article ne pouvait s’appliquer à une personne n’ayant pas la capacité intellectuelle de l’apprendre.
Malgré ce refus, Armelle demande quand même à des aides à domicile d’aider à la prise de repas de son fils par gastrostomie. Cependant elles ont signalé à de nombreuses reprises que ce n’était pas de leur ressort car ces actes relèvent du rôle propre infirmier visé par le R4311-5 du CSP, et ont refusé de faire le geste.
L’impossibilité de recourir à cet article ne permet pas à Armelle d’avoir pleinement et réellement droit à un temps de relais qui lui permettrait de reprendre une activité à temps partiel
Questionnements et pistes d’analyse suscités par la situation :
Cette situation pose deux problèmes :
- La manière dont les aides à domicile du SAAD interprètent le rôle propre infirmier. Ce rôle peut être interprété de deux manières :
- Première interprétation possible : les actes présents dans cet article peuvent être exercés uniquement par un infirmier ou, en collaboration et sous la responsabilité de l’infirmier, par un aide-soignant ou un aide médico-psychologique (ou un auxiliaire de puériculture). Dans cette logique, l’auxiliaire de vie (qu’elle soit en emploi direct, en mandataire ou dans un SAAD) n’est pas autorisée à réaliser cet acte.
- Deuxième interprétation possible : les actes présents dans cet article (dont le 22°) ne sont pas exclusifs du rôle infirmier. Le 14° du R. 4311-5 du CSP mentionne par exemple l’aide au lever et à la marche. Cet acte fait également partie des actes essentiels de la vie quotidienne que réalise une auxiliaire de vie dans le cadre de la prestation de compensation du handicap (PCH) (annexe 2-5 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) ou de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) (annexe 2-3 du CASF).
La première interprétation pose une tension juridique sur un grand nombre d’actes, par exemple entre le 14° du R. 4311-5 du CSP qui mentionne l’aide au lever et à la marche, et le fait que ces actes sont également inclus dans les actes essentiels de la vie quotidienne que réalise une auxiliaire de vie dans le cadre de la PCH (annexe 2-5 du CASF) ou de l’APA (annexe 2-3 du CASF).
La seconde interprétation trouve également ses limites, dans la mesure où elle laisse entendre que l’ensemble des références dans le R. 4311-5 du CSP pourrait être réalisé par l’auxiliaire de vie.
- Pour les personnes polyhandicapées le L. 1111-6-1 du CSP n’est pas applicable. En effet ces personnes ont une dépendance physique majeure, mais celle-ci est également associée à une déficience intellectuelle sévère[2]. Cette limitation mentale est un obstacle à la possibilité de recevoir une formation qui permettrait de guider les mains de la personne désignée en temps réel lors de la réalisation de l’acte (cette condition est sous-entendue dans la manière dont est rédigé cet article).
Par exemple, la réglementation actuelle permet difficilement à un professionnel non paramédical de réaliser les gestes liés à la gastrostomie, dont ceux permettant d’aider à la prise de repas : le changement de poche alimentaire, l’installation et le rinçage des tubulures, et la surveillance du débit, du volume et de la périodicité de l’alimentation.
Or en cas de carence d’un infirmier à domicile, le proche aidant se retrouve obligé de réaliser ces actes. D’une manière générale, l’aide humaine (par exemple, aider à la prise de repas) est fortement imbriquée avec les actes de soins pour les personnes polyhandicapées (par exemple, alimenter par gastrostomie). De part leur extrême vulnérabilité, ces situations viennent mettre en lumière les limites de notre système juridique et sanitaire. D’une part, il prend difficilement en compte les personnes qui ont une potentialité d’autodétermination restreinte et il tend à les cantonner dans un espace de « non droit ». D’autre part, l’impossibilité de recourir à cet article, ne permet pas aux proches aidants d’avoir pleinement et réellement droit à des temps de relais, de répit ou de suppléance à domicile (en leur présence ou leur permettant de s’absenter).
Recommandations :
- Formaliser un texte législatif permettant de rendre effectif le droit au répit, au relais et à la suppléance des proches aidants de personnes polyhandicapées.
- Formaliser une circulaire qui permettrait de clarifier et de préciser la notion de « rôle propre » mentionnée pour les actes de l’article R. 4311-5 du Code de la Santé Publique. Cet article comprend notamment l’administration de l’alimentation par sonde gastrique et le changement de sonde d’alimentation gastrique (acte 7°). Cette circulaire d’interprétation aurait une vigilance particulière quant à la manière de clarifier la place possible des aides à domicile dans l’alimentation des personnes ayant une gastrostomie.
Principaux textes de droits mobilisés dans la situation :
- Article L. 1111-6-1 du Code de la Santé Publique
- Article R. 4311-5 du Code de la Santé Publique
[1] Le groupe d’experts coordonné par Handéo comprend : le Groupe polyhandicap France (GPF), le CLAPEAHA, l’Association Ressources Polyhandicap Nord Pas de Calais, le CESAP, le CRMH, la Croix Rouge Française, l’APF, la FEDESAP, la FEHAP, l’UNA, le réseau de services Vitalliance, le SAAD UNA Paris 12, le SAAD Centre 77, le SESAD la Colline, le SPASAD CRF de Montdidier.
La méthodologie de ce groupe d’experts repose sur la recherche d’une position négociée entre ses membres. Cette méthode demande de pouvoir déployer une réflexion collective associant une pluralité de points de vue sur les constats à formaliser et à valoriser au regard des contraintes et des enjeux, parfois en tension, entre les différents participants. Les écrits contenus dans ce document de travail s’appuient sur un « consensus majoritaire » (construit à partir de réunions de travail), mais ils ne reflètent pas nécessairement les positions politiques de chacun des membres du collectif.
[2] Si l’on s’appuie sur la définition adoptée par le Conseil d’Administration du GPF le 3 décembre 2002 et reprise dans le volet polyhandicap de la stratégie quinquennale sur l’évolution de l’offre médico-sociale du ministère des affaires sociales et de la santé (CIH, 2 décembre 2016)