Accompagnement non une mise en institution
Auteur : Bernard Meile, Vice-président de l’association Advocacy France
Résumé : Pour les droits sociaux, économiques et culturels, chaque pays fixe souverainement la dépense, niveau minimum et répartition, à condition d’assurer chaque droit et, par mesure législative, des recours juridictionnels pour lutter contre les discriminations, et absence de toute mesure régressive sauf cas de force majeure. Chez nous, lois, services, établissements sociaux et médico-sociaux, qui assurent un minimum des droits essentiels, restreignent aussi des droits civils inaliénables n’exigeant ni distribution ni évaluation de biens. Cela rend le recours improbable, chaque mandataire se dit obligé d’y renoncer. Entendons le savoir des défavorisés.
Contexte de description : 13 Octobre 2017, Paris, la France ne respecte pas la convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, ratifiée par elle en 2010, et n’y a pas conformé sa législation. Le rapporteur spécial des Nations-Unies Catalina Devandas-Aguilar propose la suppression des institutions lieux de vie pour handicapés.
Celui qui parle ici allait déjà de lui-même à un Centre Médico-Psychologique quand, percuté par un chauffard et renvoyé sans soin par l’hôpital puis attaqué et mutilé dans son appartement, puis SDF souvent remis à la rue, il a connu la table de contention d’un hôpital concurrent du CMP. Militant d’une association « d’usagers » depuis 14 ans, il est vice-président de la CDU d’un établissement psychiatrique, et a été un délégué élu des hébergés de son lieu d’hébergement, représentation prévue par la loi et ici devenue périmée. Quel progrès prévoir ?
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Janvier 2017, agressé à sa porte puis insultes et coups devant des salariés. Des prétextes vagues sont admis, torts partagés, lettre de protestation sans réponse. Août, occlusion du colon, refus d’appeler un médecin et secret des consignes du cahier de liaison, déchirure-perforation, prothèse orifice fécal milieu du ventre.
Questionnements et pistes d’analyse ouvertes à tous :
Le pire, avant qu’on ait mûri, c’est les humiliations, l’acharnement. Le premier secours, c’est des remarques faisant qu’on entendra les personnes ainsi en difficulté. Redisons : Pas de décision pour nous sans nous… Participer à la vie de la cité. Toute personne ayant des difficultés mentales, psychiques, ou autre handicap, est facilement désarmée, cendrillon souffre-douleur, souvent infantilisée, protégée à l’excès et éduquée comme un caniche ou un perroquet… Comment être reconnu juste comme un être humain ? N’étant ni purs esprits ni partout à la fois, l’action de notre corps sur ce qui l’entoure est notre seule source de connaissance. La vue imprègne la rétine et imprime dans notre mémoire le lieu de l’événement, mais ne fait pas percevoir une capacité d’agir. Et le langage nous fait imaginer mais…
Nos représentations de parcelles du monde par un langage ou une œuvre d’art définissent à peine mieux que « Tu vois ce que je vois ! ». Représenter ce que nous connaissons, par des désignations caractéristiques ou localement suffisantes, c’est une modélisation. Le langage fait le relais, rappel d’un passé commun, et anticipe le présent. Habiter un lieu, et un langage, c’est les remodeler peu à peu parce que percevoir peu à peu la relation entre des actions et leurs effets.
Ce vocabulaire illimité mais dénombrable, invention collective entre le réel connu et les mots inventés par chacun, c’est un repérage de faits en interaction projetés dans l’avenir. Mais ce lexique, multiplié et enrichi par les scientifiques, rien ne certifie que le monde qu’il décrit a sa consistance, la structure dessinée… Nous n’existons que dans un lieu et en habitant un langage, des représentations mises en commun dans une collectivité qui, avec, joue à la patate chaude. Pensée collective toujours en gestation, mémoire sans cesse relue à plusieurs, ce reflet d’événements qui y sont nommés, chacun le rebâtit à partir de ces événements.
Des universitaires ont voulu en extraire des concepts immuables, universels, puis « de nouveaux paradigmes » pour l’élite. Mais « le peuple ne pouvant atteindre aux subtilités de la langue des beaux esprits, MM. les beaux esprits doivent se mettre à la portée du peuple ». Malherbe avait déjà montré que la langue des débardeurs des quais de Seine était la plus proche d’être entendue et comprise par tous, la plus claire, l’avenir.
Ferdinand Brunot voulait limiter l’influence du « structuralisme» (en 1910) et de la « grammaire générale ». Il guida Merleau-Ponty à ne prendre dans Husserl que la pure phénoménologie. Et oubliant la philologie (étude comparée des textes), son laboratoire de linguistique de la Sorbonne étudia l’apprentissage du langage par des enfants autistes. Pour toute personne en difficulté, la langue aide aussi à se souvenir, à penser les choix de son devenir, chacun l’apprend en continuant à la construire. Une telle réappropriation de l’espace et de la langue pour coexister a aussi fait de lui un des fondateurs en France de la Ligue des Droits de l’Homme.
Le sens du droit commun y est la clef. Les politiques publiques faisant exister un droit à la santé sont souvent oubliées dans le vote des budgets ou dans les faits. Le droit à la santé est déstabilisé par une discrimination contre des gens les plus en situation de vulnérabilité, il doit être protégé et respecté.
Les droits civils et politiques sont immédiats, non progressifs, et les dérogations limitées. Aucune répartition ni évaluation de biens n’y met en danger la souveraineté du pays. Mais, par décision d’un juge, des personnes sont empêchées d’avoir à l’avenir arbitrage par les tribunaux.
Chaque pays surveille souverainement ses dépenses, et nos lois, services et établissements sociaux et médico-sociaux, garantissent un minimum de droits essentiels. Refuser des droits civils et politiques, sans souci des plus vulnérables, y est un moyen de pression évitant les recours des plus maltraités. Un droit de faire recours établi par décision législative y serait nécessaire.
Lutter contre les discriminations indirectes, et entendre le savoir des défavorisés, a conduit à parler de participation à l’élaboration des lois par les personnes directement concernées.
Développements :
Entraide et réflexion des accompagnés pour analyser et décider
Pour compenser et dépasser un handicap les généralités aident peu. C’est le corps (son être indissociable) qui rencontre ce qui est autour, impossible d’être un autre. Il se souvient de la rencontre et de ce qui y était associé ou présent, puis oublie mais reconnaît encore ces indices si décrits, même maladroitement, par un témoignage. Il les revit comme les interlocuteurs stabilisés se souvenant.
Il leur faut les moyens de se rencontrer (CIDPH Article 26[1]), de bâtir leur langage et dire comment ils font avec leurs difficultés. Être discriminés est leur ordinaire, mais niveau et mécanismes sont liés aux circonstances, usages locaux et règles des institutions. Diagnostiquer et réagir pour s’entraider, c’est d’abord interroger le passé, sans juger l’autre, sans vocabulaire savant. Conseiller c’est avoir enregistré pas à pas pour signaler et limiter les dérapages.
Chacun est seul compétent pour présenter aux autres ce que lui seul connaît vraiment, mais beaucoup de similitudes sont des héritages communs. Le social ou médico-social, les Établissements et Institutions surtout, sont des enclaves où le juge s’aventure peu. Et où les obligations d’enregistrement et d’information sont lacunaires. La personne accueillie n’a d’habitude aucune trace de preuve des droits violés par défaut de protection (effort insuffisant limitant mal la répétition d’atteintes par des tiers salariés ou autres accueillis).*
Nos difficultés nous ont dévalorisés, socialement disqualifiés, même aux yeux de gens faisant profession d’aider. Si nous essayons une remise des pendules à l’heure, ils risquent de ne pas comprendre et devenir hostiles. On ne doit prendre ce risque que pour soi-même, mais débattre ensemble aidera à bien voir. Parlons déjà de nos efforts, ou de se mobiliser autour de l’incapacité juridique et d’incohérences empêchant que le juge dise le droit. Préparons que à l’avenir toute non-assistance à personne en détresse alertera nos institutions.
Base de droit :
Accessibilité et lutte contre les discriminations indirectes, la CIDPH. La mise en place progressive des droits sociaux, économiques et culturels. Et les droits civils et politiques, applicables immédiatement, limitation stricte des dérogations.
Éclairage apporté par la mise en dialogue :
Décloisonner, faire entendre plus le langage de la personne en difficulté elle-même, apporterait plus de témoignages directs aux réflexions des professionnels. Pour connaître ce qui nous entoure, et penser nos actions, chaque représentation improvisée d’événements se répétant nous apporte plus que celles, mieux dites, montrant juste la connaissance de récits habituels. Maltraitances, discriminations, défaut de vigilance, sont des violences collectives dont le récit ou l’observation reste une façon d’analyser, et un choix personnel. Contentons-nous d’échanger nos remarques pour mieux organiser localement des limitations de ces violences.
* Les droits des conventions de l’Onu n’attribuent aucune richesse, le pays ajuste le droit social souverainement, évaluation et répartition. Or la violation d’un droit par omission est peu prouvable, sauf statistiquement (Rapport Michel Blatman sur l’effet direct des stipulations des traités des droits de l’homme ayant précédé la CIDPH). Et l’action juridique de groupe instituée par la Loi de Modernisation du Système de Santé exclut ce type de preuve. La lutte contre les discriminations mérite des recours moins ségrégatifs.