Recueil Confcap – situation #26 : Quelle place à la liberté personnelle de la personne sous tutelle ? Le cas d’une personne mise en danger par une consommation forte de stupéfiants

Auteure : Nahima Chikoc Barreda, juriste et auxiliaire de recherche du projet Acsedroits (Université de Québec à Montréal)

Contexte de description : Cas remis par l’Union Départementale des Associations familiales de la France UDAF 31 et UDAF 82 dans le cadre du projet CIDERNA (Centre interrégional pour la garantie des droits des personnes ayant besoin de soutien. Programme transfrontalier axé sur la mise en application effective de la Convention relative aux droits des personnes handicapées). Les noms des protagonistes ont été transformés.

Nous visons à aborder la situation exposée ci-dessous à partir de l’analyse de la liberté personnelle de la personne sous tutelle, dans le sens de choisir le cadre de vie. Compte tenu de la répercussion universelle des enjeux concernant les droits des personnes en situation de vulnérabilité, nous allons jeter un regard sur cette problématique à partir du processus de réforme du droit de l’Ontario. Il envisage la mise en place des mesures d’accompagnement dans l’exercice de droits civils, à la lumière de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Résumé : Personne sous tutelle sans entourage familial, laquelle est vulnérable aux addictions de stupéfiants. Elle habite dans un logement, dans lequel elle produit des nuisances donnant lieu aux multiples plaintes. Cette situation problématique a favorisé son internement de façon régulière dans un hôpital psychiatrique. Lors de l’ouverture de la tutelle, le juge a remarqué la nécessité de la mesure, dans le sens où elle permettrait le maintien du logement et l’administration des ressources financières. En fait, le rapport avec son représentant légal se résume à la mise à disposition de l’argent.

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Madame Duval, née en 1980 est placée sous mesure curatelle depuis 2008. Son contexte social et familial défavorable l’a placée dans des situations de vulnérabilité. Elle souffre des addictions causées par une consommation habituelle des drogues et des stupéfiants. L’existence de plusieurs dégâts, des lourdes nuisances sonores et le fait de vivre dans un entourage toxique ont contribué à une dégradation progressive du logement. Les perturbations fréquentes ont conduit les voisins à porter plainte à plusieurs reprises. Cette situation conflictuelle l’a amenée à la garde dans un établissement des soins psychiatriques.

Étant donné la situation personnelle de madame Duval, et dans le but de lui procurer une protection plus complète, son meilleur ami Philippe a demandé la modification du régime de curatelle par celui de la tutelle. Dans le cadre de cette demande, le juge des tutelles a évalué une détérioration de la capacité mentale et volitive de madame Duval, tout en tenant compte de la situation de vulnérabilité causée par la forte addiction aux stupéfiants. C’est ainsi qu’en 2016, il a ordonné l’ouverture d’un régime de tutelle à l’égard de madame Duval, afin de mieux pourvoir aux besoins de protection de sa personne, au maintien du logement et à l’administration de ses biens.

En effet, la mise en place de la tutelle a permis d’administrer diligemment les ressources de madame Duval, afin de les rendre disponibles de façon régulière pour satisfaire ses dépenses quotidiennes. Nous soulignons que les relations interpersonnelles entre madame Duval et le tuteur ont été limitées de manière générale à la gestion de l’argent.

En principe, les régimes de la curatelle et la tutelle visent à la protection de la personne déclarée inapte à prendre soin d’elle et de ses biens, en veillant à son bien-être moral et matériel. Or, dans la situation qui nous occupe, le régime tutélaire n’a pas conduit à une amélioration de l’état psychosocial de la personne. Madame Duval semble ne pas s’interroger pour son avenir. Étant donné que l’analyse de sa propre situation est presque inexistante, il s’avère difficile de rechercher davantage son consentement aux actes qui la concernent. D’ailleurs, la non-adhésion aux traitements et les échecs des tentatives d’accompagnement constituent des facteurs de risque pour la personne protégée dont son rétablissement est menacé.

Questionnements et pistes d’analyse suscités par la situation :

Est-ce que la mesure de tutelle attribue le pouvoir au tuteur d’imposer le cadre de vie à la personne protégée[1], y compris le fait de choisir le lieu de sa résidence et de modifier ses habitudes, sous prétexte que celles-ci sont nuisibles à la personne ? Faut-il continuer à rechercher le consentement de la personne protégée, même si elle n’analyse pas sa propre situation ? Que faire quand les choix ou les non-choix conduisent les personnes à se placer dans des situations indignes[2], compte tenu dans ce cas, du haut degré de dangerosité qui suppose pour madame Duval sa situation de dépendance aux stupéfiants ?

Pistes de développement :

La notion de la vulnérabilité est généralement associée à une certaine stigmatisation sociale. Toutefois, compte tenu du caractère imprévisible des risques, la vulnérabilité doit être conçue comme étant une condition inhérente à la condition humaine, de caractère constant, inévitable et universel[3]. Sur le fondement de la prise de conscience de cette condition, l’accès aux mesures de soutien devient une obligation et une garantie à accomplir par le droit, l’État et les institutions dans toute société.

Conformément à la mission des régimes de protection, le but de la fonction du tuteur est axé sur la protection de la personne et l’administration de ses biens afin de lui procurer des conditions de vie adéquates. Cependant, la fonction des représentants légaux qui décident à la place de la personne est souvent limitée à la question du contrôle de l’argent. Nous questionnons ainsi l’utilité des mesures de protection substitutives de l’autonomie décisionnelle du majeur protégé. Ce modèle de protection suffit-il pour assurer le bien-être et la dignité de la personne protégée dans un sens plus large que celui limité aux conditions matérielles de vie? Qu’est-ce qu’il faut entendre par dignité ? Comprend-elle la liberté de faire des mauvais choix ?

Il est bien répandu que le principe de la dignité humaine est à la base de tout l’ensemble des droits fondamentaux. La Commission de droit de l’Ontario, dans le but de reformer l’état du droit en matière de capacité juridique, de prise de décision et de tutelle a mis en avant la notion de la « dignité du risque ». Celle-ci « met en relief le rapport étroit souvent établi entre l’autonomie – le droit de choisir pour soi-même, à sa façon, même si les autres ne sont pas d’accord, même s’il peut en résulter des conséquences négatives graves – et la notion d’être une personne et d’être respecté en tant que tel »[4].

La possibilité de faire nos propres choix relève du respect de la liberté personnelle, laquelle appartient à tous les êtres humains sans aucune distinction. Nous questionnons ainsi la vision paternaliste dominant les régimes traditionnels de représentation qui ne laissent pas de place à la volonté interne et aux préférences de la personne protégée.

Principaux textes de droits mobilisés dans la situation ou qui pourraient l’être :

  • Code civil français
  • Code civil du Québec
  • Charte des droits et libertés du Québec
  • Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (Québec)
  • Convention relative aux droits des personnes handicapées

Eclairages issues de la mise en dialogue :

L’article 12 de la Convention des droits des personnes handicapées invoque le plein exercice de la capacité juridique dans des conditions d’égalité. S’inscrivant dans ce contexte, le dialogue entre les différents acteurs aux niveaux social et juridique devient essentiel, afin de mettre en place des mesures de soutien à la décision des personnes vulnérables.

Bien que le tuteur agisse dans l’intérêt de la personne protégée[5], le régime de tutelle contraigne les choix de vie de la personne, car il est axé sur le mécanisme de substitution de la volonté de cette dernière. Or, dans le cas des actes juridiques de nature éminemment personnelle, tels ceux relatifs aux soins et au choix du lieu de résidence, il est exigé de rechercher davantage le consentement de la personne protégée plutôt que celui du représentant légal.

Les mesures d’accès à l’accompagnement, permettant de laisser la place à l’autonomie décisionnelle des majeurs dans les décisions strictement personnelles, s’avèrent très utiles dans le but de donner une effectivité réelle à la pleine jouissance de leurs droits civils. Dans cet esprit, la Commission de droit de l’Ontario a proposé certaines mesures, telles que l’intégration de la notion d’accommodement liée aux droits de la personne dans le concept de la capacité juridique et le fait de permettre aux personnes d’établir des autorisations d’accompagnement pour obtenir le soutien de personnes de confiance à l’égard des décisions relatives aux questions courantes. Il est pertinent de remarquer que les mesures d’accommodement visant à assurer la capacité juridique des personnes vulnérables peuvent répondre à une large gamme de leurs besoins telle l’interprétation et la communication dans le cadre de la prestation de services[6] .


[1] La protection à la personne par son représentant légal (curateur, tuteur, mandataire)  vise à « assurer que les conditions de vie de celle-ci (logement, nourriture, habillement, soins, sécurité) sont bonnes, compte tenu de son état de santé et de ses revenus », information extraite du site officiel du Curateur public du Québec https://www.curateur.gouv.qc.ca.

[2] Nous analyserons ci-dessous la notion de la dignité comme étant nécessairement reliée à l’autonomie personnelle.

[3] Martha A. Fineman, «The Vulnerable Subject: Anchoring Equality in the Human condition», (2008) 20:1 YJLF.

[4] Commission de droit de l’Ontario, Capacité juridique, prise de décision, tutelle: rapport final, 2017, p. 42.

[5] Le tuteur représente la personne protégée dans les actes nécessaires à la gestion de son patrimoine. Il est tenu d’apporter, dans celle-ci, des soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt de la personne protégée, art. 496 al. 1er et 2 du Code civil français

[6] « L’accommodement peut comprendre des méthodes de communication différentes, de plus longs délais, des mesures permettant de tenir compte de l’heure ou de l’environnement ou encore l’aide d’une personne de confiance pouvant donner des explications que la personne en cause est en mesure d’appréhender. Il peut également comprendre des mesures d’adaptation liées au langage, à la culture ou à d’autres domaines dans lesquels des besoins particuliers peuvent influer sur le processus d’évaluation », voir supra note 4, p. 97

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