Commentaire par Paul Véron de la décision du Conseil d’État 12 juillet 2018 n° 412639
Le CRPA a exercé un recours en annulation contre l’instruction ministérielle du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie. Cette demande a été rejetée par le Conseil d’Etat dans une décision du 12 juillet 2018.
Pour rappel, la « loi santé » du 26 janvier 2016 a introduit dans le code de la santé publique un article L. 3222-5-1 afin de donner un cadre légal aux pratiques d’isolement et de contention en psychiatrie. Cette disposition exige notamment que les mesures d’isolement et de contentions ne soient utilisées qu’en « dernier recours » pour « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre » et « pour une durée limitée ». Le texte prévoit encore que la mise en œuvre de ces mesures « doit faire l’objet d’une surveillance stricte » et que les établissements doivent, à fin de traçabilité, tenir un « registre » qui « mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée ». Enfin, chaque établissement « établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre ».
L’instruction visée par le recours rappelle ces exigences légales et apporte certaines précisions sur les modalités de leur mise en œuvre (motivation de la décision du psychiatre, recherche préalable des alternatives moins contraignantes, utilisation d’un espace dédié, contenu du registre et du rapport annuel, utilisation des données du registre par différentes instances : établissement, CME, ARS, ministère, etc.)
Le CRPA reprochait à cette instruction de ne pas prévoir :
- de procédure contradictoire préalable à la décision de recourir à l’isolement ou à la contention pour les personnes admises en soins psychiatriques sans consentement, en permettant notamment à la personne concernée ou à son avocat de présenter des observations,
- de contrôle juridictionnel spécifique pour juger de la régularité et du bien-fondé de cette mesure.
L’argument est balayé par le Conseil d’Etat qui estime que cette instruction ne fait pas partie du champ des actes de l’administration « justiciables », en ce qu’elle ne modifie pas, par elle-même, l’ordonnancement juridique :
« L’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief. L’instruction attaquée, en ce qu’elle ne précise pas la procédure à suivre pour prendre des mesures d’isolement ou de contention et ne comporte aucune indication quant à la possibilité de les contester par un recours juridictionnel, ne peut qu’être regardée comme dénuée de caractère impératif sur ces points ».
Selon une expression bien connue en contentieux administratif, une circulaire ou instruction, en principe, « ne fait pas grief », en ce qu’elle ne fait que détailler la mise en œuvre d’un texte légal ou réglementaire, sans y ajouter aucune norme impérative. Lorsque la circulaire ou l’instruction ajoute au contraire des obligations, elle est alors considérée comme ayant un caractère « impératif » et susceptible de recours en annulation [jurisprudence Duvignères, CE sect. 18 déc. 2002, n° 233618 – V. aussi, O. Renaudie, Santé mentale et droit souple, in Contrainte et consentement en santé mentale. Forcer, influencer, coopérer (dir. L. Velpry, B. Eyraud, P. Vidal-Naquet), PUR, 2018, p. 121 et s.].
Tel n’était manifestement pas le cas ici. Précisément, le requérant reprochait davantage au texte ce qu’il ne prévoyait pas que ce qu’il contenait, en soulignant l’insuffisance des exigences procédurales entourant les mesures d’isolement et de contention. On peut d’ailleurs gager que si l’instruction avait introduit l’exigence d’une procédure contradictoire et d’un recours juridictionnel spécifique, elle aurait été entachée d’illégalité, son auteur n’ayant pas compétence pour empiéter sur ce qui relève du domaine de la loi ou même du règlement.
La fait de savoir si la loi offre des garanties procédurales suffisantes pour une mesure aussi grave qu’une mise à l’isolement ou qu’une contention physique n’en demeure pas moins une question sérieuse. Notamment, quelles modalités de contrôle des décisions d’admission en chambre d’isolement ou de mise sous contention peut-on envisager pour s’assurer efficacement que leur usage soit effectivement un « dernier recours » ?
A ce titre, il y aurait lieu de s’interroger tant sur la constitutionnalité de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (conformité aux exigences constitutionnelles, notamment au regard du principe de « liberté individuelle » garanti par la DDHC de 1789), aussi bien que sur sa conventionalité (conformité aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme, et en particulier de l’article 5).
La contestation d’un texte de loi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suppose toutefois que la question présente un caractère « sérieux » (ce qui peut être défendu ici), mais aussi qu’elle soit « nouvelle », c’est-à-dire qu’elle n’ait pas déjà fait l’objet d’un examen par le conseil constitutionnel, par exemple lors d’un contrôle a priori, avant la promulgation de la loi. A ce titre, il ressort de la décision QPC du 21 janvier 2016 (DC n° 2015-727) que l’article L. 3222-5-1 ne compte pas parmi les dispositions de la « loi santé » sur lesquelles le conseil constitutionnel a été saisi à cette occasion.
Ajoutons que la question de savoir quel juge est compétent pour contrôler la légalité des mesures d’isolement et de contention n’est à ce jour, en droit, pas clarifiée. La cour d’appel de Versailles a reconnu que ce contrôle entrait dans le champ de compétence du juge des libertés et de la détention (JLD) et a prononcé à au moins deux reprises, une mainlevée pour non-respect des prescriptions de l’article L. 3222-5-1 (CA Versailles, 24 oct. 2016, n° 16/07393, RDSS 2017. 175, obs. P. Véron ; JCP n° 46, p. 2082, obs. F. Vialla ; 16 juin 2017, n° 17/04374). Il s’agit toutefois, semble-t-il, d’une position minoritaire au sein des juridictions, liée au rôle particulièrement actif d’avocats versaillais spécialisés. Une clarification de la Cour de cassation est donc attendue sur ce point.
Par Paul Véron, Maître de conférences en droit privé, Université de Nantes, DCS