« Accompagner à la défense des droits en santé mentale ? » : billet sur la séance n°2 du séminaire Ehess-Ehesp-Collectif Contrast-capdroits

Cette seconde séance du séminaire “HANDICAP, EXERCICE DES DROITS ET PARTICIPATION : ENTRE CONTRAINTES ET ACCOMPAGNEMENT” a permis de discuter des enjeux de l’accompagnement à la défense des droits à travers le problème plus spécifique de « l’accès à la justice et aux tribunaux », ce problème ouvrant cependant sur celui plus général de l’appropriation du « système juridique » par les justiciables, et notamment ceux qui sont en situation de spécifique vulnérabilité.

Anne SARIS (Professeure au Département des sciences juridiques, faculté de science politique et de droit, Université du Québec à Montréal) a présenté « L’accompagnement juridique des personnes en situation de vulnérabilité en Amérique du Nord et ses défis à partir de l’expérience de la Clinique juridique itinérante ». Isabelle BILLARD (Avocat à la cour d’appel de Paris), s’est interrogée sur « Soins sans consentements, mise sous protection, comment accompagner la défense des droits ? ».

Avec l’expérience de la clinique juridique itinérante, l’exemple québécois a permis d’ouvrir sur une conception du droit plurielle, influencée notamment par les courants du « réalisme juridique » qui insistent sur l’indétermination a priori des textes de droits, conduisant dans une certaines mesure à rendre moins hiérarchique la source du droit. L’applicabilité de dispositions constitutionnelles ou de droits fondamentaux par les différents justiciables, et aussi par les juges, y est par exemple une source forte de droits. La Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées peut par exemple être mobilisée pour interpréter la loi, pour contester certains textes législatifs, pour s’opposer à certaines décisions. Entre les espoirs les plus grands qu’elle peut susciter et parfois le scepticisme le plus sombre sur sa capacité à faire réellement changer les pratiques, quelle place prend-elle aujourd’hui dans les procédures ?

L’exemple québécois a permis de mettre en valeur le rôle des cliniques juridiques, qui sont développés dans l’espace nord-américain depuis près d’un siècle, et qui commencent à se développer en France. Au-delà de la formation de futurs avocats, ces cliniques permettent de penser une forme d’accompagnement aux droits et à la justice pas complètement professionnalisés. L’accompagnement juridique se caractérise ainsi par une manière de « porter la mémoire » juridico-administrative des personnes en situation de vulnérabilité, par la conservation notamment d’un ensemble d’écrits qui peuvent être à un moment ou à au autre mobilisables sur la scène judiciaire. L’accompagnateur permet au juge d’interpréter la situation différemment, sans pour autant avoir un statut de représentant ou d’assistant dans la procédure judiciaire. La clinique peut conduire aussi à traduire les droits dans un langage facile à lire et à comprendre, comme c’est préconisé par de nombreuses instances internationales ou nationales. Une des conditions de l’accès effectif aux droits réside dans leur intelligibilité et en particulier leur « traduction » dans un langage facile à lire et à comprendre. La question se pose de savoir si la généralisation de cette pratique de traduction finit par influencer la rédaction des textes législatifs dés leur origine.

Avec la clinique juridique itinérante se pose la question d’une nouvelle professionnalité. Ou est-ce au contraire une forme hybride, marquée par des savoirs professionnels et des savoirs expérimentaux ? Cette question se pose tout particulièrement dans le contexte français ou les changements relatifs à la place des juges dans les hospitalisations sans consentement ont transformé la question de l’accès aux droits et ont donné une place centrale aux avocats : leur présence est devenue obligatoire pour les mesures de soin sans consentement ; elle est restée facultative pour l’ouverture des mesures de protection.

Plus largement, la question de ces formes nouvelles « d’accompagnement » pose le risque, soulevé par André Bitton, représentant du CRPA, de « confusion des genres »  entre le traitement thérapeutique et le traitement juridique. Comment les avocats peuvent-ils mener leur travail de conseil quand ils ont l’impression que les personnes ont besoin de soin ?

Merci à Anne Saris et à Isabelle Billard pour leur présentation et aux différentes interventions du public. Les notes écrites d’Isabelle Billard sont diffusables sur demande.