« Stigmatisation et déstigmatisation : retours sur des expériences collectives et réflexives » : billet sur la séance n°3 du séminaire Ehess-Ehesp-Collectif Contrast-Capdroits

La 3e séance – Advocacy, accès aux droits et citoyenneté en santé mentale” – a permis de discuter de l’advocacy, et plus globalement de l’accès aux droits et de la citoyenneté en santé mentale.

Des expériences de recherche participative et de groupes d’usagers experts menées par les collectifs Advocacy France et le Réseau français sur l’Entente de voix ont témoigné de l’élaboration par les personnes concernées de questionnements et de méthodologies scientifiques, ainsi que de conceptions alternatives au diagnostic médical. Par des expériences de démocratie directe, de requalification sociale des acteurs, de valorisation des savoirs expérientiels, ces travaux dessinent des voies encore peu explorées en France d’accompagnement et de recherche par et pour les personnes en s’écartant des approches déficitaires.

Les représentants du collectif Advocacy France, composé d’usagers de GEM et de chercheurs accompagnants (Claude Deutsch, Alexandre Farcy, Cyrille Nguyen, Laetitia Prangé et Jeanne Tendero), ont présenté leur travail de recherche « De la disqualification à la prise de parole » entamé en 2015, qui durera 3 ans.

Le questionnement initial touche à l’incapacité des institutions à répondre aux besoin des intéressés, en dépit des principes énoncés dans la Convention de l’ONU (notamment l’article 12) et la loi de 2005 : « On vit dans un monde moderne, pourtant les institutions sont encore celles du monde d’hier », constate Jeanne. « Je ne suis pas porteur de handicap psychique, je ne suis pas une case ». Les mots pour dire les catégories stigmatisantes et leurs contestations, traduisent le point de départ de l’enquête, le souci du respect des droits.

Les « chercheurs acteurs » et les « chercheurs accompagnateurs » sont allés interviewer les élus et décideurs institutionnels sur cette disjonction, source d’obstacles récurrents à la participation sociale dans des domaines aussi différents que l’emploi, le logement, l’accès aux soins, la parentalité, la protection juridique…

Entre cette interrogation initiale et l’enquête de terrain, les groupes ont co-construit toute une série d’outils de recherche pour garantir que les objets et le design de la recherche continuent d’appartenir aux personnes directement concernées, en s’assurant à chaque fois d’un fonctionnement véritablement collectif : des réunions fréquentes où chacun veille à la circulation équitable de la parole, à la valorisation des expériences et du sens de ces expériences pour les personnes qui les ont vécues ; la rédaction et l’amendement par tous de comptes-rendus de chacune des réunions ; la co-élaboration de guides d’entretiens ; un travail de traduction permanent entre l’ordinaire et la singularité  du vécu et les questions de recherche ; la simulation de ces entretiens qui pouvaient être anticipés avec crainte par des personnes marquées par des parcours stigmatisants…

Les chercheurs acteurs ont expliqué que cette recherche participative produisaient d’abord un aller mieux : « quand je fais la recherche-action, je n’ai pas l’impression d’être dans la souffrance ; j’ai l’impression de retrouver une bande de potes ». Elle se révèle aussi émancipatoire : « on montre qu’on est capable de se défendre et de se battre… on peut envisager autre chose que le milieu protégé… Le handicap psy est une cause qui doit être défendue ».

De leur côté les chercheurs accompagnants disent avoir appris à explorer des questions qui n’étaient pas celles qu’ils se posaient spontanément et identifié de nouvelles sources de savoirs ainsi que des méthodes inédites d’élaboration scientifique.

Magali Molinié, maître de conférence en psychologie à l’Université Paris 8 et psychologue clinicienne, était là surtout au titre de membre fondateur du Réseau français sur l’Entente de voix (REV France). Elle est aujourd’hui vice-présidente de l’association et contribue activement au développement du réseau, notamment par la mise en place de groupes de parole et d’initiatives publiques sur l’entente de voix.

Le REV se veut une proposition d’émancipation au sens large qui s’appuie sur une conception alternative de ce que sont les voix et la mise en place de groupes de personnes concernées directement ou non par ces expériences à la fois assez largement partagées mais extrêmement diverses. A ce titre, le REV rassemble à la fois des professionnels de la psychologie et de la psychiatrie et des entendeurs de voix, « psychiatrisés » ou non, qui critiquent et redéfinissent ensemble le cadre de compréhension médical traditionnel (schizophrénie, psychose…) et leur traitement, social et/ou médicamenteux. L’expérience et la recherche académique y sont là aussi pensées conjointement pour explorer la diversité de la psyché humaine et proposer de « vivre bien avec » plutôt que de convaincre la personne entendeuse de voix qu’ « elle se trompe » et que traiter nécessite avant tout de faire taire les voix. La « dépathologisation », la recherche de sens des expériences de voix et l’élaboration d’outils pour « devenir maître en sa demeure » constituent le dénominateur commun des uns et des autres.

Janis Jenkins, anthropologue dans un département d’anthropologie et de psychiatrie, à l’université de San Diego, de visite à Paris, a corroboré la richesse de ces approches centrées sur l’expérience des « troubles mentaux » pour déjouer l’effet le plus délétère de toutes les maladies qu’est l’isolement social.

Les échanges ont permis d’ouvrir des voies sur le partage comme ressource de santé et de requalification sociale, sur la force des collectifs hybrides dans le domaine de la recherche, tant du point de vue méthodologique que de la production de savoirs. Ces éléments se révèlent aussi des expériences de démocratie « de base » à fort potentiel politique.