Recueil Confcap – Situation #35 : La prise en charge d’un patient dangereux pour autrui et menaçant, refusant les soins psychiatriques

Auteurs :  JS, infirmière en psychiatrie, et JM, cadre supérieur de santé et chercheur en sciences infirmières

Contexte de description : Cette situation provient d’une expérience professionnelle. Le nom du protagoniste a été transformé.

Résumé : Réalité de semaine : Le Bureau de d’Action de Santé Mentale de la ville de P. m’appelle au Centre Médico Psychologique où je travaille en tant que cadre de santé. Il faut intervenir au domicile de M. Parquiet et la police ne peut y aller seule car il s’agit d’une intervention à but sanitaire : « il faut un soignant présent avec eux ». Le psychiatre du CMP pense que la police doit y aller seule car ce patient est avant tout dangereux pour autrui (sachant que de nombreux signalements sont faits pour une intervention depuis plusieurs mois). Mais j’organise quand même avec la police du quartier l’intervention au domicile. Je ne connais pas ce patient mais j’ai peur qu’il commette un acte grave et que ma responsabilité soit engagée.

Au domicile, le patient ouvre sa porte au bout d’un moment à la demande de la police. Celui-ci, s’il se montre très sthénique, n’est ni délirant, ni dissocié. Il refuse notre proposition d’hospitalisation (une ambulance avait été prévue) et de revenir consulter au CMP. Ne se sent plus concerné par (s)ces soins et pense que « c’est tant mieux ». Fin de l’intervention. Le patient reste à son domicile.

***

En janvier 2017, un premier signalement est fait au Centre Médico Psychologique (CMP) par la famille de M. Parquiet qui avait été hospitalisé dans nos services en 2015, mais qui restait inconnu des équipes de soins du CMP. En effet, le syndic de l’immeuble dans lequel M. Parquiet vit, menace de résilier le bail de monsieur si son comportement ne change pas. Des plaintes proviennent des occupants de l’immeuble, à savoir : « tapage nocturne avec jets d’objets lourds dans les murs, cris et hurlements, lancement d’objet par la fenêtre. »

Suite à cela, plusieurs Visites A Domicile (VAD) sont organisées par les infirmiers du CMP, sans succès : Le patient n’ouvre pas sa porte, refuse tout échange.

Début février 2017, la mère de M. Parquiet et sa sœur portent plainte respectivement contre leur fils/frère pour « menace de mort réitérée, appels téléphoniques malveillants réitérés, dégradation ou détérioration volontaire du bien d’autrui causant un dommage léger », espérant alerter les pouvoirs publics et accélérer la prise en charge psychiatrique de M.P. De nouvelles plaintes et courriers du syndic réitèrent le signalement au CMP. Le psychiatre référent de M. Parquiet signale une nouvelle fois la situation à la préfecture de police de Paris, avec demande explicite d’un recours au « soins sans consentement sur demande du représentant de l’Etat ». De nouvelles VAD sont effectuées avec et sans les forces de l’ordre, sans succès.

S’en suivent de nombreux courriers échangés entre syndic et propriétaire du logement, syndic et la famille de M. Parquiet, la famille et les bureaux du procureur.

Début septembre 2017, M. Parquiet aurait envoyé à tous ses voisins une lettre à caractère délirante de menaces de mort. Le syndic nous alerte à nouveau de ces agissements, un nouveau signalement est fait à l’Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de Police (IPPP) par le psychiatre du CMP.

Après ce signalement, le bureau d’action de Santé Mentale demande une intervention au domicile avec les forces de l’ordre. Le psychiatre n’est pas favorable à ce que les soignants du CMP participent à cette intervention mais la police refuse d’intervenir seule. Les instructions d’emmener le patient à l’Infirmerie de la Préfecture de Police de Paris ont été rédigées clairement par le psychiatre du CMP, mais la police estimant que M. Parquiet avait l’air cohérent est reparti sans emmener le patient.

Enfin début octobre, dans le cadre de la procédure judiciaire pour les menaces de morts réitérées suite aux plaintes déposées par la mère et la sœur, M. Parquiet est placé en garde à vue, examiné par un psychiatre expert et transféré à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police pour une nécessité de soins psychiatriques sous contrainte (SDRE). Il est hospitalisé le 5 octobre 2017 en Soins sous contrainte sur décision d’un représentant de l’Etat. Il sortira de l’hôpital dix jours plus tard avec une obligation de soin ambulatoire.

Questionnements et pistes d’analyse suscités par la situation :

La position du cadre de santé :

  • Quid de la responsabilité du cadre de santé qui organise la première intervention alors que le patient n’est pas encore en programme de soin ? A qu’elle autorité doit-il en référer : au directeur de l’établissement qui l’emploie ou bien au psychiatre chef de service ?
  • Fallait-il se rendre au domicile de cette personne ? A t-on le droit de demander à des soignants d’intervenir au domicile des patients qui ne sont pas en rupture de programme de soins ?

La position du soignant :

  • L’intervention au domicile des soignants, sans rupture de programme de soin, est-elle obligatoire (surtout dans le cadre d’une intervention policière)?
  • Très intrusif pour le patient, qui n’était pas connu à l’époque par l’équipe du CMP. Comment appréhender la future prise en charge dans un contexte de première rencontre soignant/soigné au domicile avec la police ?
  • Quelle place adopter face à la famille après les nombreux signalements donnés auprès des services de soin, et qui sont restés sans réponses de notre part ? Malgré nos signalements faits à la préfecture, sorte d’impuissance pour répondre à la demande de la famille et des voisins ?

La position du patient :

  • Opposition aux soins qui lui sont proposés. Déni de sa pathologie. Absence d’Alliance thérapeutique qui aurait pu être construite au préalable
  • Mise en avant du respect de sa liberté
  • Intrusion dans son intimité (intervention au domicile).

La position de la famille :

  • Quel est l’interlocuteur fiable pour amorcer des soins ? Multiplication des interpellations des différentes institutions : la bailleur, le syndic, la police, le CMP, la préfecture.
  • Représente la première cible de l’expression de la dangerosité et des troubles du comportement du patient.(caution financière du patient et interlocuteur direct du bailleur et syndic).

Suggestions :

  • Lorsque le patient est potentiellement dangereux et persécuté, privilégier l’intervention seule de la police afin d’optimiser une meilleure prise en charge de l’équipe soignante a posteriori, ce qui évite l’amalgame police/soins
  • Un transport serait-il possible dans une voiture de police banalisée ?

Principaux textes de droits mobilisés dans la situation ou qui pourraient l’être :

– Circulaire du 21 juillet 2011 relative à la présentation des principales dispositions de la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et du décret n°2011-846 du 18 juillet 2011 relatif à la procédure judiciaire de mainlevée ou de contrôle des mesures de soins psychiatriques

– Circulaire N°DGOS/R4/2011/312 du 29 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

– Circulaire du 11 août 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

Respect des libertés du citoyen et des droits de l’Homme :

– Arrêté du 19 avril 1994 relatif à l’informatisation du suivi des personnes hospitalisées sans leur consentement en raison de troubles mentaux et au secrétariat des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques

– Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Art. 5.  La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

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